Charles Baudelaire: Les Fleurs du Mal / Spleen et Idéal



LIII. - L'Invitation au Voyage




I 
2
 
4
 
6
 
8
 
10
 
12

 
14

        Mon enfant, ma sœur,
        Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
        Aimer à loisir,
        Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
        Les soleils mouillés
        De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
        Si mystérieux
        De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

II 
16
 
18
 
20
 
22
 
24
 
26

 
28

        Des meubles luisants,
        Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
        Les plus rares fleurs
        Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
        Les riches plafonds,
        Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
        Tout y parlerait
        À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

III 
30
 
32
 
34
 
36
 
38
 
40

 
42

        Vois sur ces canaux
        Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;
        C'est pour assouvir
        Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
        - Les soleils couchants
        Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
        D'hyacinthe et d'or;
        Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

(2e éd. - Paris : Poulet-Malassis et de Broise, 1861;  Gallica)
Tübinger Lektürekurs